Gracchus Babeuf

De Wikirouge
Aller à la navigation Aller à la recherche
Gracchus Babeuf.jpg

François Noël Babeuf (1760-1797) dit Gracchus Babeuf, était un révolutionnaire français, « le premier communiste agissant » selon le mot de Marx[1]. Il fut un des premiers à proposer la communauté du travail et des biens, dès la Révolution française, et à penser la lutte des classes. Il est surtout connu pour avoir mené la Conjuration des Égaux (1796), insurrection manquée contre le Directoire, qui lui vaut d'être guillotiné.

1 Biographie[modifier | modifier le wikicode]

1.1 Jeunesse[modifier | modifier le wikicode]

Né le 23 novembre 1760 en la paroisse Saint-Nicaise (Saint-Quentin), François Noël Babeuf est le fils de Claude Babeuf, employé dans les fermes du Roi (petit fonctionnaire), et de Marie Catherine Ancherel.

Il travaille dès l’âge de 12 ans comme terrassier au canal de Picardie. À 17 ans, il réussit à se faire engager comme apprenti chez un notaire feudiste à Flixecourt. En 1781, âgé de 21 ans, il commence à exercer pour son propre compte comme géomètre et commissaire à terrier. Un procès, en 1785, le laisse ruiné avec sa femme et ses deux enfants. Par ce travail au service des nobles, il est témoin de fréquentes spoliations de propriétés et découvre la vie misérable des paysans picards.

« Ce fut dans la poussière des archives seigneuriales que je découvris les affreux mystères des usurpations de la caste noble. »[2]

Le 13 novembre 1782, il épouse à Damery (Somme) Marie Anne Victoire Langlet (baptisée à Amiens le 13 février 1757, morte après 1840), fille d’un quincaillier d’Amiens et ancienne femme de chambre, avec laquelle il a cinq enfants : Catherine-Adélaïde-Sophie, née en septembre 1783, morte à Roye le 13 novembre 1787 ; Robert, dit Émile, né le 29 septembre 1785 à Roye ; Catherine-Adélaïde-Sophie, née le 3 septembre 1788 à Roye, morte le 18 messidor an III (6 juillet 1795) ; Jean-Baptiste-Claude, dit Camille, né le 26 novembre 1790, interné comme fou en 1808, mort le 24 août 1815 en se jetant du quatrième étage de la maison où il logeait et travaillait, chez le bijoutier Lirot ; Caïus Gracchus, né le 9 pluviôse an V (28 janvier 1797) à Vendôme, tué par une balle perdue en 1814, lors de l'invasion.

1.2 Lectures et correspondance[modifier | modifier le wikicode]

L'autre grande source de sa pensée est dans ses lectures. De 1785 à 1788, Babeuf lit beaucoup, et entretient une abondante correspondance avec Dubois de Fosseux, secrétaire perpétuel de l’Académie d’Arras. Il se demande comment donner aux hommes les moyens et les fins de leur bonheur.

Il sera très influencé par Rousseau : Le Contrat social fut lu, médité, annoté ; les Confessions tenues pour« un chef-d’œuvre d’analyse » ; le Discours sur l’inégalité soumis à une critique serrée. Mais il lut également Mably (il emprunta la formule « égalité parfaite » à De la législation ou principe des lois de 1776) ou encore le Code de la nature, de Morelly (mais qu'il croyait de Diderot). Il fut également très marqué par L’avant-coureur du changement du monde entier par l’aisance, la bonne éducation et la prospérité générale de tous les hommes de Collignon (1786). Celui-ci y prônait une société collectiviste d'abondance, ce en quoi il était plus radical que Rousseau :

« Il me semble que notre réformateur [Collignon] fait mieux que le citoyen de Genève [Rousseau], que j’ai ouï traiter quelquefois de rêveur. Il rêvait bien à la vérité, mais notre homme rêve mieux. Comme lui, il prétend que les hommes sont absolument égaux, ils ne doivent posséder rien en particulier, mais jouir de tout en commun... Mais loin de nous renvoyer, comme M. Rousseau, pour exister ainsi au milieu des bois, nous rassasier sous un chêne, nous désaltérer au premier ruisseau, et nous reposer sous ce même chêne où nous avons trouvé d’abord notre nourriture, notre réformateur nous fait faire quatre bons repas par jour, nous habille très élégamment et donne à chacun de nous autres, pères de familles, de charmantes maisons de mille louis. C’est là avoir bien su concilier les agréments de la vie sociale avec ceux de la vie naturelle et primitive. » [3]

Mais Babeuf songe, et c’est là son originalité en son temps, à l’application pratique : « Que j’aime le réformateur général ! c’est bien dommage qu’il laisse ses moyens en blanc. »

En 1785, on trouve déjà une première trace de collectivisation dans ses écrits :

« Je substitue la ferme collective à la ferme à preneur unique. 50, 40, 30, 20 individus viennent à vivre en associés sur cette ferme autour de laquelle, isolés qu’ils étaient auparavant, ils végétaient à peine ; de la misère, ils passeront rapidement à l’aisance. (...) Emietter le sol par parcelles égales entre tous les individus, c’est anéantir la plus grande somme de ressources qu’il donnerait au travail combiné. »[4]

Mais cette première fulgurance est encore passagère. Babeuf commence à rédiger Le cadastre perpétuel, où il défend les revendications d'égalité radicale du peuple de Paris, et qui sera publié en 1790. Son idée est alors celle du partage des terres.

1.3 La Révolution[modifier | modifier le wikicode]

En mars 1789, Babeuf participe à la rédaction du cahier de doléances des habitants de Roye. À la suite de l’échec de son Cadastre perpétuel et surtout au début de la Révolution française, il devient journaliste, vivant entre Paris et Roye.

Il se trouve qu'il est à Paris lors de la prise de la Bastille le 14 juillet. Il est horrifié de voir les sans-culottes porter des têtes coupées au bout de piques, mais il voit cela comme la conséquence de l'accoutumance à la violence féodale :

« Les supplices de tous genres, l’écartèlement, la torture, la roue, les bûchers, le fouet, les gibets, les bourreaux multipliés partout, nous ont fait de si mauvaises mœurs ! Les maîtres, au lieu de nous policer, nous ont rendus barbares, parce qu’ils le sont eux-mêmes. Ils récoltent et récolteront ce qu’ils ont semé. » (Lettre à sa femme, le 23 juillet 1789)

Il est aussi correspondant du Courrier de l’Europe (édité à Londres) à partir de septembre 1789.

Il se bat contre les impôts indirects, organise pétitions et réunions. Son activité et son audience lui valent d’être accusé d’incitation à la rébellion. Il est arrêté le 19 mai 1790 et emprisonné. Il est libéré en juillet, grâce à la pression du révolutionnaire Jean-Paul Marat. Le 14 juillet 1790, il assiste à la Fête de la Fédération. À la même époque, il rompt avec le catholicisme et devient athée. Il écrira en 1793 : « Le christianisme et la liberté sont incompatibles ».

Premier numéro du Journal de la Confédération, juillet 1790.

En juillet 1790, Babeuf imprime un nouveau journal qui n'aura que trois numéros, Le Journal de la Confédération :

« …On assure que les ténébreux cachots, ces sépultures des vivants dont nous avons tiré nos frères d'armes par nos justes clameurs, se repeuplent journellement d'une foule considérable d'autres victimes toujours prévenues du fameux crime de lèse-nation. Les plus scrupuleuses précautions et les plus invincibles mystères sont employés pour éviter qu'aucuns renseignements puissent transpirer sur le compte de ces derniers, et de là, il n'est plus difficile de consommer l'horreur, de les garder dans ces souterrains mortels… ». (Journal de la confédération, prison de la Conciergerie, Paris, 1790)

Il y défend aussi le maximum d'autonomie des sections révolutionnaires parisiennes.

« Si le peuple est souverain, il doit exercer lui-même tout le plus qu'il peut de souveraineté »

Il lance son propre journal en octobre 1790, Le Correspondant picard, journal révolutionnaire fort avancé dans lequel il s’insurge contre le suffrage censitaire mis en place pour les élections de 1791. Le journal est contraint à la disparition quelques mois plus tard, mais Babeuf continue à se mobiliser aux côtés des paysans et des ouvriers picards. Le 23 mars 1791, il est élu commissaire pour la recherche des biens communaux de la ville de Roye. Dans une brochure qu’il publie en juillet 1791, il écrit que la propriété féodale est « le fruit de l’expropriation et de la violence ». La même année, il se prononce publiquement pour la mise en place de la République.

Et pour lui, l’égalité politique devrait conduire à l’égalité sociale. Il dénonce le fait que « l'abolition du régime féodal » proclamée dans la nuit du 4 août 1789 n'est que formelle. « La prétendue abolition répétée si souvent dans les décrets de l’Assemblée constituante n’existait que dans les mots, la chose en elle-même était conservée dans son entier. » Il réclamait non seulement l’abolition totale des redevances, sans indemnité, mais encore la confiscation de toutes les propriétés seigneuriales (février 1791) ; l’arrêt de la vente des biens du clergé et leur distribution aux paysans « mal aisés » sous forme de baux à long terme (mai 1790) ; le partage des communaux, non en propriété, mais en usufruit ; et finalement, le partage des terres.

Au fond il est partisan d'une « égalité parfaite », mais il ne met pas encore en avant toutes ses idées, par soucis tactique : « Je le redis aussi de nouveau, ce ne serait point là les intentions qu’il faudrait d’abord divulguer. »[5]

En 1792, il se fait appeler Camille.

En août 1792, Babeuf est élu à l’assemblée électorale de la Somme. Il est ensuite administrateur au district de Montdidier. Mis en cause dans une affaire de droit commun (accusé de faux), il doit fuir à Paris en février 1793.

En avril 1793, angoissé pour ses enfants « sans pain », il se consolait : « J’espère leur faire voir un père que l’univers entier bénira et que toutes les nations, tous les siècles regarderont comme le sauveur du genre humain. »

1.4 Rapport aux Montagnards[modifier | modifier le wikicode]

A Paris, Babeuf soutient la Montagne contre les Girondins, même s'il critique la Terreur qu'ils appliquent. Il disait « Je réprouve ce point particulier de leur système ». A ce moment il noue contact avec l’écrivain Sylvain Maréchal. Il entre en mai 1793 à la Commission des subsistances de Paris. Il y soutient les revendications des sans-culottes, osant dénoncer un nouveau pacte de famine organisé par Pierre Louis Manuel, procureur général de la Commune, ce qui suscita contre lui des haines violentes.

Accusé dans l’affaire qui avait entraîné son départ de Montdidier, il est emprisonné du 14 novembre 1793 au 18 juillet 1794, et est acquitté à Laon où Pierre Charles Pottofeux exerce la fonction de procureur général syndic. Dix jours après sa libération, c’est le coup d’État contre Robespierre, et les Montagnards perdent le pouvoir le 9 thermidor (27 juillet 1794).

Babeuf apportait un soutien critique aux Montagnards, voulant qu'ils aillent plus loin dans l'égalité sociale, tout en dénonçant durement la Terreur.

Après le 9 thermidor, Babeuf fut un moment violemment anti-robespierriste : il dénonça « Maximilien l'Exterminateur », et son rôle et celui de Carrier, dans les massacres de Vendée, parlant de « plan populicide ». A ce moment, Babeuf met surtout en avant la revendication de la démocratie directe.

Cependant les ravages de l’inflation et la profonde misère au cours du terrible hiver 1794-1795 lui firent réaliser l'importance de la loi du maximum, comme exemple de la direction à suivre :

« Que ce gouvernement, démontré praticable par l’expérience, puisqu’il est celui appliqué aux douze cent mille hommes de nos douze armées (ce qui est possible en petit l’est en grand) ; que ce gouvernement est le seul dont il peut résulter un bonheur universel, inaltérable, sans mélange ; le bonheur commun, but de la société. »

1.5 Vers le communisme[modifier | modifier le wikicode]

Babeuf précise sa pensée qui devient franchement communiste. Il part d’une critique du commerce, « homicide et rapace » ; il dénonce « la loi barbare dictée par les capitaux ». « Le commerce tel qu’il se pratique dans ce composé de faussetés et d’iniquités sans nombre qui constituent notre état social actuel, n’est donc qu’une somme énorme d’abus des plus meurtriers. » Babeuf oppose « la minorité qui s’engraisse » et « l’immense majorité qui produit et travaille effectivement. Qu’au sein de cette majorité, tous soient à la fois producteurs et consommateurs dans cette proportion où tous les besoins sont satisfaits, où personne ne souffre ni de la misère ni de la fatigue... Il ne doit y avoir ni haut ni bas, ni premier ni dernier, les efforts comme les intentions des associés doivent constamment converger vers le grand but fraternel, la prospérité commune, inépuisable mine de bien-être individuel à perpétuité ».

Babeuf, passant aux remèdes, exposait alors comment organiser production et répartition. Que chaque homme soit attaché « au talent, à l’industrie qu’il connaît » ; plus de marchands ni de négociants ; il n’y aura que « de purs agents de distribution »... « Tous agents de production et de fabrication travailleront pour le magasin commun et chacun d’eux y enverra le produit en nature de sa tâche individuelle, et des agents de distribution, non plus établis pour leur propre compte, mais pour celui de la grande famille, feront refluer vers chaque citoyen sa part égale et variée de la masse entière des produits de toute l’association. »[6]

1.6 Dénonciation de la réaction thermidorienne[modifier | modifier le wikicode]

Journal de la Liberté de la Presse, 8 vendémiaire an III (1794)

Babeuf comprend que c’est le pouvoir des possédants qui s’est consolidé dans les dernières années de la Révolution et que les sans-culottes ne bénéficieront pas de l’égalité sociale

À partir du 3 septembre 1794, Babeuf publie le Journal de la Liberté de la presse, qui devient le 5 octobre Le Tribun du peuple. Ce journal, où il combat frontalement la réaction thermidorienne, acquiert une forte audience. Il adhère, à la même période, au Club électoral, club de discussion de sans-culottes. Le 3 novembre, il demande que les femmes soient admises dans les clubs. Dans son journal, il défend l’idée que la république est confisquée par « le million doré » (les riches) au détriment des 24 autres millions de citoyens au ventre creux.

Il se fait appeler Gracchus en référence aux Gracques, ces réformateurs sous la Rome antique qui militèrent pour la réforme agraire et furent assassinés. Il appellera aussi un de ses fils Caïus. Babeuf défend la nécessité d’une « insurrection pacifique ».

Accusé par Tallien d'outrage envers la Convention nationale, il est de nouveau arrêté, et incarcéré à la prison d’Arras, le 7 février 1795. Nombre de révolutionnaires étant alors sous les verrous, c'est l’occasion pour Babeuf de se lier avec des démocrates comme Simon Duplay, Augustin Darthé ou Philippe Buonarroti. À leur contact, il modifie ses idées. Il ne semble pas jouer de rôle dans l’insurrection jacobine du 1er prairial an III (20 mai 1795).

1.7 La Conjuration des Égaux[modifier | modifier le wikicode]

Première page de l'édition du Tribun du Peuple de 1795

Rendu à la liberté le 18 octobre 1795 par la loi d’amnistie qui termine la session de la Convention nationale, il relance rapidement la publication du Tribun du peuple. Le Manifeste des plébéiens qu'il publie le 30 novembre 1795 résume sa nouvelle vision communiste.

« Nous prouverons que le terroir n’est à personne, mais qu’il est à tous. Nous prouverons que tout ce qu’un individu en accapare au-delà de ce qui peut le nourrir, est un vol social... » « Est-ce la loi agraire que vous voulez ?, vont s’écrier mille voix d’honnêtes gens. Non ; c’est plus que cela, nous savons quel invincible argument on aurait à nous y opposer. On nous dirait avec raison que la loi agraire ne peut durer qu’un jour ; que dès le lendemain de son établissement, l’inégalité se remontrerait. (...) Le seul moyen d’arriver là est d’établir l’administration commune, de supprimer la propriété particulière ; d’attacher chaque homme au talent, à l’industrie qu’il connaît, de l’obliger à en déposer le fruit en nature au magasin commun ; et d’établir une simple administration de distribution, une administration des subsistances qui, tenant registre de tous les individus et de toutes les choses, fera répartir ces dernières dans la plus scrupuleuse égalité. »

La régénération de la société a dans l'esprit de Babeuf un fort aspect moral, et sa base sur un enthousiasme quasi millénariste :

« Assurer à chacun et à sa postérité, telle nombreuse qu’elle soit, la suffisance, mais rien que la suffisance. » Alors disparaîtront tous les crimes, « l’envie, la jalousie, l’instabilité, l’orgueil, la tromperie, la duplicité, enfin tous les vices ». Et disparaîtra aussi « le ver rongeur de l’inquiétude générale, particulière, perpétuelle de chacun de nous, sur notre sort du lendemain... ».

« Peuple ! réveille-toi à l’espérance... Epanouis-toi à la vue d’un futur heureux... Tous les maux sont à leur comble ; ils ne peuvent plus empirer ; ils ne peuvent plus se réparer que par un bouleversement total ! Que tout se confonde donc ! Que tous les éléments se brouillent, se mêlent et s’entrechoquent ! Que tout rentre dans le chaos et que du chaos sorte un monde nouveau et régénéré ! »

Le gouvernement a une politique de répression de plus en plus forte, avec la fermeture du club du Panthéon, où sont présents nombre d’amis et de partisans de Babeuf, et tente d’arrêter Babeuf en janvier 1796. Étant parvenu à s’enfuir, ce dernier entre dans la clandestinité.

Babeuf décide alors d’organiser un véritable parti révolutionnaire clandestin centralisé mais aussi lié au petit peuple des faubourgs. Il est persuadé qu’un tel parti peut diriger une insurrection visant à accomplir la véritable révolution sociale pour obtenir le « bien commun » et « la parfaite égalité ».

C’est-ce qu’on appellera la Conjuration des Égaux, formée avec Augustin Darthé, Philippe Buonarroti, Sylvain Maréchal, Félix Lepeletier (frère de l’ancien député Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau), Antoine Antonelle et Georges Grisel. Le réseau des « Égaux » recouvre tous les arrondissements de Paris et de nombreuses villes de province. À sa tête, un « Directoire secret de salut public », dirigé par Babeuf, coordonne la lutte.

Le but est de continuer la Révolution, d’appliquer la Constitution de l'an I (1793), et d’aboutir à la collectivisation des terres et des moyens de production. Bientôt des pamphlets circulent : ils annoncent l'abolition de la monnaie, le logement des pauvres chez les riches et les distributions gratuites de vivres[7].

Pour Babeuf et ses acolytes, l'Égalité est l'axe qui donne un sens à la Révolution. La démocratie est également un objectif majeur, par exemple dans le numéro 42 du Tribun du peuple, Babeuf écrit : « Les gouvernants ne font des révolutions que pour gouverner. Nous en voulons enfin une pour assurer à jamais le bonheur du peuple, par la vraie démocratie »[8] Mais les Conjurés conçoivent désormais la démocratie comme l'aboutissement, après une dictature révolutionnaire temporaire.

1.8 Dénonciation et arrestation[modifier | modifier le wikicode]

A cause de la corruption de Georges Grisel, la police arrête Babeuf, Buonarroti, Darthé et les principaux meneurs des Égaux le 10 mai 1796. Une tentative populaire de les libérer échoue le 29 juin. Une seconde tentative échoue également. Pour éviter que le petit peuple ne les libère, les Égaux sont transférés à Vendôme (Loir-et-Cher) dans la nuit du 26-27. Ils sont transportés dans des cages grillagées, leurs femmes, dont celle de Babeuf avec son fils aîné, Emile, suivant à pied le convoi.

Dans sa lettre du 14 juillet 1796, véritable testament politique, Babeuf recommandait à Félix Lepeletier de rassembler « tous ses projets, notes et ébauches d’écrits démocratiques et révolutionnaires, tous conséquents au vaste but »...

« Un jour, lorsque la persécution sera ralentie, lorsque peut-être les hommes de bien respireront assez librement pour pouvoir jeter quelques fleurs sur notre tombe, lorsqu’on en sera venu à songer de nouveau aux moyens de procurer au genre humain le bonheur que nous lui proposions, tu pourras chercher dans ces chiffons et présenter à tous les disciples de l’Egalité..., la collection mitigée des divers fragments qui contiennent tout ce que les corrompus d’aujourd’hui appellent mes rêves. »

1.9 Procès, suicide et guillotine[modifier | modifier le wikicode]

Les babouvistes se poignardant pendant leur procès.

Une haute cour est constituée, et le procès s’ouvre à Vendôme le 20 février 1797 en présence de deux ministres. Le 16 avril, Lazare Carnot avait fait voter une loi qui punissait de mort l’apologie de la Constitution de 1793 et les appels à la dissolution du Directoire. Cela vise Babeuf, et Darthé, à qui l’on reproche la rédaction de l’ordre d’exécution des Directeurs.

Le 26 mai, apprenant qu’ils sont condamnés à mort, Babeuf et Darthé se poignardent. Ils seront guillotinés quand même le lendemain, transportés agonisants.

Babeuf écrivit dans son ultime lettre à sa femme et à ses enfants :

« Ecrivez à ma mère et à mes sœurs. Dites leur comment je suis mort, et tâchez de leur faire comprendre, à ces bonnes gens, qu’une telle mort est glorieuse loin d’être déshonorée. Adieu pour jamais ; je m’enveloppe dans le sein d’un sommeil vertueux. »

Buonarroti, Germain et cinq autres accusés sont condamnés à la déportation, et 56 autres accusés, dont Jean-Baptiste-André Amar et Pierre-Charles Pottofeux, sont acquittés, bénéficiant probablement de la solidarité des anciens parlementaires montagnards.

Le corps de Babeuf aurait été transporté et enterré dans une fosse commune de l'ancien cimetière du Grand Faubourg de Vendôme, dans le Loir-et-Cher[9]. Ses enfants furent adoptés par Lepeletier et Turreau.

2 Le babouvisme[modifier | modifier le wikicode]

2.1 Idées de Babeuf et de ses compagnons[modifier | modifier le wikicode]

2.1.1 Forces[modifier | modifier le wikicode]

Babeuf était partisan d’une société d’« égalité parfaite ». Cette expression employée en 1786-1787 revient sous sa plume en 1791 dans ses lettres à Coupé, en 1793 dans son projet de Législation des sans-culottes, en 1794 dans une lettre à son fils (« démontrer en même temps qu’il est probable que le peuple français conduira sa révolution jusqu’au terme heureux de ce système d’égalité parfaite », 15 pluviôse an II).

Le babouvisme est d’abord une réaction contre la misère et la faim. Dans la Révolution bourgeoise, qui met "le peuple" en mouvement, Babeuf perçoit la lutte des classes et affirme que « la Révolution française n’est que l’avant-courrier d’une autre révolution bien plus grande qui sera la dernière ». Il insistait sur la distinction entre l’égalité formelle et l’égalité réelle, ce qui le rapproche du marxisme.

Contrairement aux Robespierristes, aux Hébertistes et aux Enragés, Babeuf est le seul à concevoir un programme qui aurait pu donner satisfaction aux sans-culottes des campagnes, et apporter une solution définitive à la division en classes. Cependant Babeuf n'étant pas au pouvoir, il n’était pas tenu comme les Robespierristes de ménager l’équilibre des forces révolutionnaires afin de sauvegarder l’unité du front anti-aristocratique. A prendre nettement parti pour les paysans sans terre, journaliers et petits paysans, on risquait de dresser les paysans propriétaires et les fermiers aisés. La population rurale était loin d’être homogène : elle ne fut jamais parfaitement unie que contre l’aristocratie. Très certainement, les conditions sociologiques n'étaient pas réunies pour une révolution communiste.

« La terre n'est à personne, les fruits sont à tout le monde »

Babeuf est aussi un des premiers à revendiquer l'égalité hommes-femmes. Ainsi le 3 novembre 1794, il demande que les femmes soient admises dans les clubs. Comme les Montagnards, il est contre l'esclavage, qu'il lié à la question de la propriété :

« C'est la grande propriété qui a inventé et soutient le trafic des blancs et des noirs qui vend et achète les hommes... C'est elle qui dans les colonies donne aux nègres de nos plantations plus de coup de fouet que de morceau de pain. »

Citation d’un écrit de prison décrivant la société appelée de ses vœux :

« Que tous soient à la fois producteurs et consommateurs dans cette proportion où tous les besoins sont satisfaits, où personne ne souffre ni de la misère ni de la fatigue. Dans la société régénérée, tout doit être équilibre et compensation ; rien ne doit être motif à se mettre en avant, à se faire valoir, à vouloir dominer… Plus de maîtres, plus d’anthropophages, plus de tyrans, plus d’ambitieux, plus d’exploitants, plus d’exploités. De l’équité, de la loyauté, de la probité, de la sincérité toujours et partout. Plus de marchands ni de négociants s’ils ne se bornent pas à être de purs agents de distribution. Quand tous les agents de production et de fabrication travailleront pour le magasin commun et que chacun d’eux y enverra le produit en nature de sa tâche individuelle et que des agents de distribution , non plus établis pour leur propre compte, mais pour celui de la grande famille, feront refluer vers chaque citoyen sa part égale et variée de la masse entière des produits de toute l’association, en retour de ce qu’il aura pu faire soit pour les augmenter soit pour les améliorer, j’entends moi que, loin d’être anéanti, le commerce se sera au contraire perfectionné puisqu’il sera devenu profitable à tous. »

Le babouvisme ne se réduit pas à ces textes célèbres de 1795, élaborés par Babeuf lui-même. Dans les derniers mois de son existence révolutionnaire, le Tribun du peuple, tout à l’action politique et à l’organisation de la conspiration, se préoccupa moins de réflexion idéologique. Aussi doit-on préciser les esquisses de Babeuf lui-même par d’autres textes : ainsi l’Analyse de la doctrine du Tribun du peuple et le Projet de décret économique rédigés par Buonarroti, et le célèbre Manifeste des Egaux de Sylvain Maréchal. Le babouvisme, comme système social et pratique révolutionnaire, fut une œuvre collective.

Par son implication dans la politique et l'action, le babouvisme est sans doute ce qui se rapprochait le plus du socialisme moderne.

2.1.2 Limites[modifier | modifier le wikicode]

Mais le babouvisme est encore confus, et par certains aspects encore dans le socialisme utopique.

Il véhicule un certain ascétisme moralisateur (il ne croit pas à l'abondance, donc il s'agit d'assurer le strict nécessaire à chacun) ; des tendances passéistes, un centrage vers l’agriculture. Son communisme agraire évoque peu la question du reste de la production. Babeuf s’est un peu intéressé à la marge aux travailleurs salariés, sans que l’on puisse bien préciser si c’est véritablement la connaissance des problèmes sociaux de la manufacture picarde ou la situation des classes laborieuses parisiennes, connues plus tard, qui lui a suggéré certaines formules. L’essor de la production industrielle par la concentration capitaliste lui a échappé.

La question de la transition au communisme est aussi confuse. Si jusqu’en 1794, comme l’ensemble des militants populaires, Babeuf a mis en avant la démocratie directe, après la réaction thermidorienne, méditant l'expérience de la Terreur, il se tourne vers l'idée de dictature temporaire appuyée sur l'armée. « Mélange de terrorisme et d’assistance sociale », comme l’écrit Maxime Leroy, le babouvisme a surtout exercé son influence sur quelques bourgeois idéalistes et sur des professionnels de la conspiration.

2.2 Néo-babouvisme[modifier | modifier le wikicode]

Lahautière, un des néobabouvistes

Le babouvisme a inspiré des révolutionnaires des années 1830 et 1840 revendiquant l’égalitarisme, qualifiés de « néo-babouvistes »[10][11] Un de ses compagnons, Phlippe Buonarroti, publie en 1828 Gracchus Babeuf et la conjuration des égaux. D’après Cabet, l’ouvrage devient populaire en France après 1834.

Les principales figures de ce courant communiste « néo-babouviste » sont Théodore Dézamy, Albert Laponneraye, Richard Lahautière, Jean-Jacques Pillot, Joseph Benoît. Contrairement à des socialistes utopiques comme Fourier, ils s'intéressent à nouveau à la révolution française, soit directement (Laponneraye admire Robespierre), soit en voulant la dépasser (pour Lahautière, de même que Babeuf a dépassé Robespierre, Babeuf doit être dépassé). Ils affirment aussi plus nettement l'opposition des intérêts de classe : Dézamy critiquera par exemple le « communisme pacifique » de Cabet, qui prétendait unir les capitalistes et les prolétaires.

La Conjuration des Égaux de Babeuf, fut reconnue comme « la première apparition d'un parti communiste réellement agissant »[1] par Friedrich Engels et Karl Marx, qui voyaient en Babeuf un précurseur du communisme.

Selon Rosa Luxemburg, Babeuf est le premier précurseur des soulèvements révolutionnaires du prolétariat[12]. Par l’intermédiaire de Buonarroti qui en précisa la théorie, cette idée passa à Blanqui : il y a filiation incontestable entre la pratique conspirative du blanquisme et sa notion de la dictature, et ces aspects du babouvisme.

De nombreux anarchistes ont aussi revendiqué l'héritage de Gracchus Babeuf. En juillet 1841, le journal de J.-J. May et de Gabriel Charavay, L’Humanitaire, publie une biographie de Sylvain Maréchal et manifeste de l’intérêt pour ses « idées antipolitiques ou anarchiques ».

3 Livres et journaux[modifier | modifier le wikicode]

4 Citations[modifier | modifier le wikicode]

François-Noël Babeuf.jpg

Sur la féodalité

« La féodalité n'est qu'un système d'Esclaves et de Tyrans; ma patrie veut-être libre, ne peut plus rien conserver dans ce qui tient à ce système. »

in Gracchus Babeuf avec les Egaux, Jean-Marc Shiappa, éd. Les éditions ouvrières, 1991, p. 38

Sur les femmes

« La prétendue supériorité de l'homme sur la femme et la despotique autorité qu'il s'arroge sur elle ont la même origine que la domination de la noblesse. (...) Admettre l'inégalité, c'est souscrire à une dépravation de l'espèce. »

in Gracchus Babeuf avec les Egaux, Jean-Marc Shiappa, éd. Les éditions ouvrières, 1991, p. 44

Sur Robespierre

« Nous distinguerons dans Robespierre deux hommes apôtre de la liberté et Robespierre le plus infâme des tyrans. »

Tribun du peuple n°2 du 17 fructidor an II (3 septembre 1794)

in Gracchus Babeuf avec les Egaux, Jean-Marc Shiappa, éd. Les éditions ouvrières, 1991, p. 79

« Je confesse aujourd'hui de bonne foi que je m'en veux d'avoir autrefois vu en noir, et le gouvernement révolutionnaire et Robespierre et Saint-Just. Je crois que ces hommes valaient mieux à eux seuls que tous les révolutionnaires ensemble. »

in Gracchus Babeuf avec les Egaux, Jean-Marc Shiappa, éd. Les éditions ouvrières, 1991, p. 69

Sur les préjugés

« Il ne s'est jamais rien fait de grand dans le monde que par le courage et la fermeté d'un seul homme qui brave les préjugés de la multitude. »

in Gracchus Babeuf avec les Egaux, Jean-Marc Shiappa, éd. Les éditions ouvrières, 1991, p. 43

Sur l'éducation

« L'éducation est une monstruosité lorsqu'elle est inégale, lorsqu'elle est le patrimoine exclusif d'une portion de l'association; puisqu'alors elle devient la main de cette portion, un amas de machines, une provisions d'armes de toutes sortes, à l'aide desquelles cette première portion combat l'autre qui est désarmé. »

Manifeste des Plébéiens

in Gracchus Babeuf avec les Egaux, Jean-Marc Shiappa, éd. Les éditions ouvrières, 1991, p. 49

5 Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

  • Édouard Fleury, Babœuf et le Socialisme en 1796, Paris ; chez Didier, 1851 (2e édition en ligne).
  • Albert Mathiez, Babeuf et Robespierre, Annales révolutionnaires, t. 9, no 3,‎ mai-juin 1917, p. 370-382.
  • Gérard Walter, Babeuf (1760-1797) et la conjuration des Égaux, Paris, Payot, coll. « Histoire Payot » (no 28), 1980 (1re éd. 1937), 251 p.
  • Alessandro Galante Garrone, Buonarroti e Babeuf, Turin, Francesco de Silva editore, coll. « Maestri e compagni », vol. XII, 1948.
  • Josette Lépine, Gracchus Babeuf, Éditions Hier et aujourd'hui, 1949, 255 p.
  • Claude Mazauric, Babeuf et la Conspiration pour l'égalité, Paris, Éditions sociales, 1962, 247 p.
  • Babeuf et les problèmes du babouvisme : colloque international de Stockholm, 21 août 1960 (sous la direction de Maurice Dommanget), Éditions sociales, 1963, 318 p.

6 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. 1,0 et 1,1 Karl Marx, Sur la Révolution française, Paris, Éditions sociales, , « La critique moralisante et la morale critique… », p. 91.
  2. in Gracchus Babeuf avec les Egaux, Jean-Marc Shiappa, éd. Les éditions ouvrières, 1991 (ISBN 27082 2892-7), p. 16
  3. Babeuf, Lettre à Dubois de Fosseux, 8 juillet 1787
  4. Babeuf, Lettre à Dubois de Fosseux, juin 1786
  5. Babeuf, Lettre à Jacques-Michel Coupé, 10 septembre 1791
  6. Gracchus Babeuf, Lettre à Charles Antoine Guillaume Germain, 10 thermidor an III (28 juillet 1795)
  7. Martin Benoist, « Babeuf ou l'infortune de l'Égalité », Nouvelle Revue d'Histoire, n°84 de mai-juin 2016, p. 16-18.
  8. Schiappa 2015, p.120.
  9. Tombes et sépultures dans les cimetières et autres lieux
  10. Varda Furman et Francis Démier, Louis Blanc, un socialiste en république, Creaphis éditions,‎ 2005, 224 p. (lire en ligne), « Association et organisation du travail. Points de rencontre entre les néo-babouvistes français et belges et Louis Blanc », p. 197
  11. Alain Maillard, Présence de Babeuf : lumières, révolution, communisme : actes du colloque international Babeuf, Amiens, les 7, 8 et 9 décembre 1989, Publications de la Sorbonne,‎ 1994, 334 p. (lire en ligne ), « De Babeuf au babouvisme : Réceptions et appropriations de Babeuf aux XIXe et XXe siècles », p. 261-280
  12. Michèle Ressi, L'Histoire de France en 1 000 citations : Des origines à nos jours,‎ 2011, p. 258