Inflation

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Le pic d'inflation qu'a connu l'Argentine lors de sa crise de 1998-2002

L'inflation est une perte du pouvoir d'achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix. Il s'agit d'un phénomène persistant de hausse du niveau général des prix, au-delà des variations des prix dans tel ou tel secteur. Dans l'Union Européenne, l'inflation est mesurée par l'IPCH (Indice des prix à la consommation harmonisé).

1 Explications de l'inflation[modifier | modifier le wikicode]

1.1 L'analyse monétariste[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Monétarisme.

1.1.1 L'inflation comme phénomène monétaire[modifier | modifier le wikicode]

Ce qui est souvent appelé l'explication "monétariste" de l'inflation renvoie principalement à l'explication donnée par Milton Friedman en 1963[1], souvent considérée comme étant la plus réactionnaire, parce qu'elle attribue l'inflation à la seule intervention des autorités publiques. Pour lui, l'inflation est forcément le résultat d'un excès de monnaie dans l'économie :

« L'inflation est toujours et partout un phénomène monétaire en ce sens qu'elle est et qu'elle ne peut être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production »

Durant la période des années 1970[2], Friedman met ainsi en cause les politiques monétaires accommodantes des banques centrales.

Friedman fonde son analyse sur la reformulation mathématique faite par Irving Fischer de la théorie quantitative de la monnaie, avec cette équation :

M x V = P x T

Avec M = masse monétaire, V= vitesse de circulation de la monnaie, P = niveau des prix, T = volume des transactions

La vitesse de circulation de la monnaie (V), qui mesure la fréquence avec laquelle la monnaie change de main au cours d'une période, est considérée comme constante en moyenne dans le temps. Par ailleurs, l'offre de monnaie par les autorités monétaires est considérée comme n'ayant aucun effet sur la production, on a donc une hypothèse de "neutralité" de la monnaie. Ainsi, dans ce modèle, une augmentation de la masse monétaire (M), c'est-à-dire de la quantité de monnaie en circulation, ne peut qu'aboutir à une augmentation du niveau des prix (P). Par conséquent, les banques centrales devraient suivre une règle simple : caler la croissance de leur offre de monnaie sur la croissance du volume des transaction (T) pour répondre à la demande existante de monnaie dans l'économie, et éviter d'aller au-delà.

1.1.2 L'essoufflement de la théorie monétariste[modifier | modifier le wikicode]

Bien qu'il ait été mentionné un "retour du monétarisme" durant l'inflation post-covid, cette analyse monétariste semble n'avoir aujourd'hui plus aucune influence sur les politiques des banques centrales, qui préfèrent des modèles néokeynésiens. En effet, à la fin du 20e siècle les banquiers centraux (dirigeants des banques centrales) sont confrontés à de multiplies krachs financiers auxquels ils réagissent en baissant les taux directeurs. Aux Etats-Unis, Alan Greenspan, qui prend la tête de la réserve fédérale (Fed, banque centrale des Etats-Unis) en 1987, tourne le dos au paradigme monétariste. Du fait de ces politiques de sauvetage des banques centrales, on observe que la masse monétaire s'est considérablement accrue dans les principales économies capitalistes, alors que le niveau des prix n'a pas augmenté dans la même proportion. L'économiste marxiste Michael Roberts (2020[3]) observe que :

"Entre 1993 et 2019, l'offre de monnaie M2[4] croissait à un taux moyen annuel de 6,7%, mais l'inflation (CPI), seulement 2,3%. Et depuis le Grande Récession de 2008, la croissance de l'offre de la monnaie s'est accélérée de 9,6% en moyenne par an pendant que les banques centrales appliquaient le "quantitative easing", tandis que l'inflation s'est ralentie à un taux annuel de 1,8%."

Cela est principalement lié à la financiarisation du capitalisme : du fait d'une rentabilité insuffisante du capital productif, une grande partie de la masse monétaire supplémentaire injectée par les banques centrales ne circule pas dans l' "économie réelle", mais sur les marchés financiers. Par conséquent, au lieu de tirer le niveau des prix des marchandises vers le haut, le surcroît de masse monétaire a pour effet de faire monter les cours des titres financiers. On a pu parler parfois d' "inflation financière".

La vitesse de circulation de la monnaie, contrairement au postulat du modèle monétariste, n'est pas constante : elle connaît des évolutions brusques en fonction des allers-retours de la masse monétaire entre sphère financière et appareil productif.

1.1.3 Critique marxiste[modifier | modifier le wikicode]

En tant que marxistes, nous ne pouvons pas nier que l'inflation puisse être parfois être liée à un surcroit de masse monétaire, le surcroit de masse monétaire n'est qu'une conditions nécessaire, mais pas suffisante à l'apparition de l'inflation. Le marxiste Joseph Choonara (2022[5]) résume bien la manière dont les marxistes peuvent considérer l'explication monétarise de l'inflation :

La théorie monétariste de l'inflation [...] offre une vision valable des conditions selon lesquelles l'inflation peut devenir endémique dans une économie. Cependant, déterminer si l'inflation va se produire est une autre affaire, qui requiert une analyse plus concrète.

Surtout, comme l'expliquent Jacques Valier et Jean-Luc Dallemagne (1970[6]) dans leur critique de la théorie monétariste, la monnaie n'est pas un simple intermédiaire des échanges : elle a un rôle d'extension de la production par le phénomène de l'avance (crédit aux capitaliste pour financer les investissements avant la réalisation de la plus-value). Ainsi, le processus capitaliste d'accumulation du capital implique donc toujours un "surcroit de masse monétaire" pour que le capital puisse être avancé : ensuite, si une production supplémentaire est effectuée avec cette monnaie, elle permet un revenu supplémentaire qui annule l'écart initial entre monnaie et valeur.

La question est donc plutôt : ce surcroît de masse monétaire représentera-t-il une valeur ou non ? Joseph Choonara (2022[5]) explique qu'une monnaie supplémentaire créée pour "socialiser les pertes" peut aboutir à de l'inflation :

"Si la perte est socialisée, un déséquilibre peut apparaître entre la quantité de monnaie en circulation dans les circuits du capital et la montant de la valeur étant générée. Cela créée la possibilité d'une augmentation des prix, menant à une situation ou une somme donnée de monnaie en vient à représenter une revendication moindre de la valeur."

Et encore, cette augmentation des prix est "potentielle" dans le sens où elle ne peut se faire qu'à condition que cette monnaie circule dans le secteur productif et non pas sur les marchés financiers (voir plus haut).

1.2 L'analyse keynésienne[modifier | modifier le wikicode]

🔍 Voir : Doctrine keynésienne.

1.2.1 L'inflation par la demande[modifier | modifier le wikicode]

L'analyse keynésienne de l'inflation consiste a caractériser l'inflation comme un phénomène de marché : elle serait le fruit d'une "demande excessive" par rapport à l'offre sur le marché. Cette demande excessive ne peut apparaître que lorsque que l'économie est au "plein emploi des capacités de production" (l'ensemble des travailleurs et du capital disponible sont utilisés). Ce plein emploi des capacités de production est la condition nécessaire à l'apparition de l'inflation. Autrement dit, pour les keynésiens, l'accroissement de la quantité de monnaie en circulation ne pourra produire de l'inflation que si les capacités de production sont pleinement utilisées. Dans le cas inverse, un accroissement de la demande liée à un supplément de monnaie en circulation ne ferait que faire augmenter l'offre, les entreprises s'adaptant à la demande en augmentant le taux d'utilisation des capacités de production.

1.2.2 Le contexte de l'analyse de Keynes[modifier | modifier le wikicode]

Mais c'est bien avant l'avènement du monétarisme, en 1940[7], que Keynes déploie cette analyse en termes de demande lorsqu'il observe l'économie de guerre en Grande Bretagne, pour faire des préconisations au gouvernement : l'économie de guerre restreint fortement la production de biens de consommation pour consacrer les forces productives à l'industrie militaire. Ainsi, l'offre sur le marché des biens de consommation est faible, mais la consommation se maintient et s'accroît puisque, l'industrie militaire tournant à plein régime, l'économie est au plein-emploi. Bien que le pouvoir d'achat individuel de chaque travailleur n'augmente pas, le pouvoir d'achat au niveau collectif ("agrégé") augmente. Sur le marché des biens de consommation, la demande est donc supérieure à l'offre. La demande excessive est ici avant tout le résultat d'un ralentissement de la croissance de l'offre.

Bien qu'il considère l'inflation comme étant un transfert de richesse des travailleurs (qui voient leur pouvoir d'achat individuel baisser) vers la classe capitaliste, et donc comme quelque chose qui sape les possibilités de reprise de la croissance après la guerre. Keynes s'oppose néanmoins aux revendications des syndicats ouvriers anglais qui demandent des augmentations de salaire, dont il pensait qu'elles aggraveraient l'inflation en alimentant l'excès de demande. Il préconise donc une forme d'épargne obligatoire : l'idée est de prélever une partie du salaire des travailleurs pendant la guerre pour faire baisser la demande et la réajuster à l'offre, puis se servir de ce prélèvement pour financer des allocations plus généreuses à la fin de la guerre et ainsi relancer la demande dans un contexte de reconversion de l'économie de guerre en économie "civile". Une préconisation qui revient à faire payer aux travailleurs les conséquences de l'économie de guerre, sans toucher la liberté capitaliste de fixation des prix, tout en assurant les conditions de réalisation de la plus-value capitaliste à la fin de la guerre.

Suite à la crise du coronavirus, certains fins connaisseurs de Keynes (Robert Skidelsky, Jean-Marc Siroën[8]...) ont comparé la situation en 2021 aux problèmes de l'économie de guerre posées par Keynes et anticipaient alors de l'inflation.

1.2.3 Prolongements : de la "courbe de Philips" à la "boucle prix-salaire"[modifier | modifier le wikicode]

Courbe de Philips revisitée par Solow et Samuelson

Cette idée que l'inflation apparaît en situation de plein-emploi des facteurs de production va être prolongée par les néokeynésiens Robert Solow et Paul Samuelson, mais sous une nouvelle forme : en 1960[9] les deux économistes reprennent une courbe statistique établie par A. W. Philips en 1958[10], qui établissait une lien entre baisse du taux de chômage et croissance des salaires nominaux, pour en faire un lien entre chômage et inflation. La courbe de Philips revisitée par Solow et Samuelson se présente comme sur le graphique ci-contre. Les néokeynésiens cherchent à démontrer que l'inflation vient en réalité de la fixation des salaires sur le marché du travail : plus le chômage se réduit, plus les travailleurs ont un rapport de force favorable sur le marché du travail, et obtiennent des augmentations de salaire. L'augmentation des salaires étant selon les eux le principal déterminant de l'augmentation des coûts de production, et les entreprises répercutant ces coûts sur les prix, cette hausse des salaires alimente l'inflation. Cette théorie perd beaucoup de crédibilité dans les années 1970 pendant la période de "stagflation", un moment ou les principales puissances impérialistes connaissent un mélange d'inflation, de montée du chômage et de faible croissance économique.

Mais la courbe de Philips revisitée peut être considérée comme un des piliers théoriques de ce qu'on peut appeler la "spirale salaires-prix" ou "boucle salaires-prix", souvent invoquée aujourd'hui par les politiciens et économistes bourgeois en situation d'inflation pour rejeter la faute de l'inflation sur les travailleurs ou tenter de calmer les revendications salariales des travailleurs en situation d'inflation. Emmanuel Macron a notamment évoqué cette "boucle prix-salaires" dans le contexte inflationniste de 2022. En mai 2022, Larry Summers, ancien chef du Trésor américain, explique, sans aucune gêne : “Nous avons besoin de cinq ans de chômage supérieur à 5% pour contenir l’inflation – en d’autres termes, nous avons besoin de deux ans de chômage à 7,5% ou de cinq ans de chômage à 6% ou d’un an de chômage à 10%”[11]. Jérôme Powell, président de la Fed (banque centrale des Etats-Unis) allait aussi dans ce sens en septembre 2022 : "Nous avons besoin d'une augmentation du chômage, d'un ralentissement du marché"[12] . Quant à Andrew Bailey, gouverneur de la banque d'Angleterre, il s'adresse presque directement aux travailleurs pour calmer leurs ardeurs : "Je ne suis pas en train de dire que personne ne doit obtenir une hausse de salaire, ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. Ce que je dis, c’est qu’on doit faire preuve de retenue dans les négociations salariales, sinon la situation va devenir hors de contrôle"[13].

1.2.4 Critique marxiste[modifier | modifier le wikicode]

Une hausse de salaires n’est pas forcément/automatiquement répercutée sur les prix, c’est d’ailleurs ce que répondait déjà Marx à Weston dans Salaires, prix et profits[14] (1865). John Weston était un membre de l’AIT qui, comme beaucoup d’autres à cette époque et aussi étonnant que cela puisse paraître, était opposé au mouvement syndical et à la pratique des grèves. Il se fondait théoriquement sur l’idée que toute tentative d’augmenter les salaires est vaine, puisque qu’une augmentation générale des salaires engendrerait forcément une augmentation générale des prix, la part des profits restant fixe. Par conséquent, le salaire réel resterait fixe au niveau des besoins de subsistance des travailleurs. Cette "loi économique" rendrait inutile l’augmentation des salaires et l’activité syndicale. Karl Marx lui répond dans sa brochure, qui est en fait un recueil de discours prononcés à l’AIT, que le prix des marchandises ne dépend pas des salaires puisqu’on voit déjà, que « bizarrement », quand les salaires baissent, le prix ne baisse pas forcément, notamment parce que les baisses de salaires peuvent avoir pour but premier de rétablir un taux de profit, pas forcément de baisser les prix. Mais surtout, le prix des marchandises est déterminé en dernière instance par leur valeur, elle-même liée au temps de travail socialement nécessaire à leur production.

La concurrence entre les capitalistes fait que le prix de marché de la marchandise gravite autour de cette valeur, indépendamment de la répartition entre salaires et profits dans chaque entreprise. Par conséquent, l’augmentation des salaires se traduit en une chute du taux de profit, et pas dans une hausse de prix. Karl Marx écrit :

Tout comme ils ne peuvent pas augmenter ou baisser les salaires comme ils le veulent, les capitalistes ne peuvent pas augmenter les prix à volonté pour rattraper des profits perdus par l’augmentation des salaires[15]

Une objection à l'actualité de cette idée pourrait être que la concentration du capital est telle que certaines entreprises peuvent se permettre de répercuter les hausses de salaires sur les prix, grâce à leur « pouvoir de marché ». Mais d'une part, Marx raisonne ici "toutes choses étant égales par ailleurs", indépendamment des changements dans la concentration du capital. Et d'autre part, étant donné qu'aujourd'hui les marchés ne sont pas totalement monopolistiques (ce n’est pas souvent qu’une seule entreprise détient l’ensemble des parts de marché), mais plutôt oligopolistiques[16], la concurrence subsiste, et donc on peut quand même garder cette idée de Marx qu’il y a des limites à l’augmentation des prix, quand bien même les marges de manœuvre des capitalistes sur ce point sont plus grandes aujourd’hui. Même un monopole n’augmente ses prix que dans la mesure où il considère que cela n’augmente pas significativement le risque que de nouveaux capitaux en profitent pour s’insérer sur le marché. Surtout, la concurrence est aujourd’hui internationale, et la lutte des classes n’est pas forcément synchronisée au niveau mondial, donc une hausse de salaire dans une entreprise exportatrice répondant à une forte lutte de classe dans un pays, si elle est répercutée sur les prix, peut faire perdre des parts de marché à l’entreprise si la lutte des classes est moins forte dans les autres pays, ce qui peut faire que l’entreprise préfèrera rogner sur son taux de profit.

Dire que la hausse des salaires n’augmenterait pas forcément les prix, ça ne veut pas dire que ça poserait aucun problème pour les capitalistes : ils doivent bien sûr chercher à maintenir leurs taux de profits pour attirer les investissements bancaires et financiers ! Simplement, dans un contexte concurrentiel, ils doivent parfois le faire en augmentant la productivité.

Dans sa brochure[17], Karl Marx critique aussi l'idée que la hausse des salaires puisse indirectement faire monter les prix par le biais d'une hausse de la demande : si cette hausse de la demande est également répartie sur toutes les marchandises, la hausse de la demande des travailleurs est compensée par la baisse de la demande des capitalistes (demande des capitalistes individuels et dépenses d'investissement des entreprises). Si cette hausse de la demande ne concerne que certaines marchandises particulières, alors la hausse du taux de profit dans les secteurs qui produiraient ces marchandises occasionnerait des mouvements de capitaux qui en accroîtraient l'offre, qui s'ajusterait alors à l'offre à moyen terme. En supposant, pour les besoins de la polémique, que tous les revenus soient dépensés, Marx écrit :

Ou bien l'accroissement du salaire entraîne une dépense répartie également sur tous les objets de consommation - et dans ce cas, il faut que l'augmentation de la demande de la part de la classe ouvrière soit compensée par la baisse de la demande du côté de la classe capitaliste - , ou bien l'accroissement du salaire n'est dépensé que pour quelques objets dont les prix du marché vont monter temporairement. Alors, la hausse du taux de profit qui s'ensuivra dans quelques branches d'industrie et la baisse du taux de profit dans d'autres branches provoqueront un changement dans la distribution du capital et du travail, jusqu'à ce que l'offre se soit adaptée à la demande accrue dans une branche d'industrie et à la demande diminuée dans les autres branches.[18]

Plus généralement, l'idée que l'inflation vient de la hausse des salaires est invalidée par les statistiques. En octobre 2022, le FMI[19] publie un rapport dans lequel il montre que la spirale salaires-prix ne s'est jamais vraiment enclenchée : le rapport répertorie 22 situations historiques comparables à celle de la période post-covid et ne repère aucune inscription dans la durée d'une "boucle salaires-prix". Alternatives économiques rapporte : "Lorsqu’il y a des tensions sur le marché du travail et une montée rapide des prix pour des causes exogènes, les salaires nominaux augmentent mais jamais au même rythme que les prix, conclut plutôt le FMI. En fait, les salariés subissent une partie du choc en voyant leur salaire réel diminuer."[20]

En ce qui concerne l'inflation post-covid, la plupart des marxistes ont invoqué l'idée d'une "boucle prix-profit", une inflation qui prendrait sa source du côté de l'offre plutôt que du côté de la demande. La désorganisation des chaînes de valeurs et la guerre en Ukraine faisant monter les prix des transports et de certaines matières première ayant un impact sur les coûts de production de l'ensemble des secteurs, les capitalistes répercuteraient ces coûts sur leurs prix pour maintenir voire augmenter leurs profits (et ainsi effectuer un rattrapage des profits perdus pendant la récession covid). La contribution des profits à l'inflation post-covid a d'ailleurs largement été reconnue par l'OCDE en 2023[21] : "Dans la zone euro, la contribution des profits a été particulièrement importante, et a été responsable de la majeure partie des de l'augmentation des prix de la zone dans la deuxième moitié de l'année 2022 et au premier trimestre 2023." Mais selon l'économiste marxiste Michael Roberts, étant donné les contraintes qui pèsent sur les capitalistes sur la fixation de leurs prix (voir plus haut), ce phénomène atteindrait des limites. De plus, les profits étant ciselés entre hausse des coûts de production et hausse des taux d'intérêt, la période pourrait se terminer par une récession qui mettrait fin à la période d'inflation. Plus fondamentalement, Michael Roberts, même s'il admet l'existence d'une boucle prix-profits, lie également l'inflation post-covid à la faiblesse de la croissance de la productivité, et donc à une trop faible pression à la baisse sur la valeur des marchandises.

1.3 L'analyse marxiste[modifier | modifier le wikicode]

Karl Marx n'a jamais véritablement proposé une théorie systématique de l'inflation. Mais un certain nombre d'économistes marxistes ont proposé des analyses en les articulant aux fondamentaux marxistes concernant la monnaie et la valeur. Souvent, ces analyses se sont faites en réactions aux théories existantes : nous renvoyons donc aux rubriques "Critique marxiste" dans les chapitres de cette page sur l'analyse monétariste et l'analyse keynésienne.

Pendant la période de "stagflation" des années 1970, les économistes marxistes Gérard Duménil[22] et Suzanne de Brunhoff[23] ont proposé des analyses de l'inflation.

Au-delà des critiques que les marxistes peuvent apporter aux théories existantes de l'inflation et l'analyse de la période post-covid, Michael Roberts et Guglielmo Carchedi proposent une théorie proprement marxiste de l'inflation dans leur ouvrage intitulé Capitalism in 21st Century : Through the Prism of Value, 2022. Michael Roberts a présenté quelques éléments de cette "théorie marxiste de l'inflation" sur son blog[24].

2 Hyperinflation[modifier | modifier le wikicode]

L'hyperinflation est une situation où les taux d'inflation atteignent des croissances exponentielles. Elle apparaît dans certaines situations de crise économique profonde, lorsqu'un cercle vicieux s'enclenche et conduit à une perte totale de confiance dans la monnaie. Généralement, cela va de pair avec la multiplication de marchés noirs et de recours à des monnaies étrangères (ex: dollarisation).

3 Historique[modifier | modifier le wikicode]

3.1 Hyperinflation allemande des années 1920[modifier | modifier le wikicode]

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3.2 Russie des années 1920[modifier | modifier le wikicode]

Après Octobre 1917, le parti bolchévik est traversé de débats sur la meilleure façon de développer et donc d'industrialiser le pays. Après l'épisode du « communisme de guerre », l'économie du pays est un mélange de planification et de marché. L'idée générale de la NEP semble à l'origine assez partagée. Concernant la création monétaire et le problème de l'inflation, Trotski indiquait en 1922 :

« Si, en accroissant l´émission de papier-monnaie, notre Commissariat des Finances essayait d´aller au-devant des désirs de chaque entreprise industrielle, le marché rejetterait inévitablement le superflu de papier-monnaie avant que les usines pussent déverser sur le marché de nouveaux produits ; en d´autres termes, le rouble subirait une telle dépréciation que la capacité d´achat de cette émission doublée ou triplée serait inférieure à la capacité d´achat de l´argent disponible actuellement existant. Certes, l´État ne renonce pas à faire de nouvelles émissions, mais ces émissions doivent être effectuées de telle façon qu´elles correspondent au développement réel de la vie économique, que dans chaque cas particulier elles accroissent la force d´achat de l´État et par la même contribuent à l´accumulation socialiste primitive.  »[25]

Le courant majoritaire dans le Comité central pense qu'il faut surtout inciter les paysans à vendre leurs produits sur le marché, et donc limiter l'inflation qui incite plutôt à une utilisation locale des denrées agricoles (fabrication d'alcool, troc entre paysans...). Cet objectif de les conduisait à vouloir limiter drastiquement les crédits d'État à l'industrie, très peu productive, et à inciter celle-ci à s'autofinancer.

3.3 Après la seconde guerre mondiale[modifier | modifier le wikicode]

Dans l'immédiat Après-guerre, l'inflation est très élevée en Europe (plus de 50% par an de 1945 à 1949), et les État ont laissé filé un temps cette inflation pour éponger rapidement les dettes publiques.

3.4 La "stagflation" des années 1970[modifier | modifier le wikicode]

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3.5 Des années 1990 à la la crise covid : une période de faible inflation.[modifier | modifier le wikicode]

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4 Revendications face à l'inflation[modifier | modifier le wikicode]

4.1 Indexation des salaires et des prestations sociales sur les prix[modifier | modifier le wikicode]

Au-delà de la question du montant des salaires nominaux, il faut mettre en place un mécanisme qui permette de bloquer les capitalistes (en particulier les grandes entreprises comme on l’a vu) qui tentent de maintenir leurs profits en augmentant les prix : l’échelle mobile des salaires, qui fait que les salaires de tous les salariés (et pas uniquement ce qui sont au salaire minimum) croissent à la même vitesse que les prix. L'échelle mobile des salaires est l'indexation des salaires sur les prix : quand les prix augmentent, les salaires suivent. C'est une mesure destinée à préserver le salaire réel de l'inflation. C’est une revendication qui a été mise en avant dès 1938 par la IVe Internationale et dans le Programme de transition de Trotsky. Elle a souvent été combattue par les capitalistes, mais aussi parfois par réformistes et les bureaucraties syndicales, sous prétexte qu’elle « démobiliserait » les travailleurs, en retirant ce qui stimulerait habituellement les luttes aux moments des NAO.

Dans un texte publié en pleine période de stagflation des années 1970, Ernest Mandel[26], dirigeant trotskyste belge et économiste marxiste, critique cet argument en expliquant que l’échelle mobile des salaires permet justement de créer les conditions pour passer d’une lutte défensive à une lutte offensive sur la question du salaire réel :

« En réalité, l’échelle mobile ne se substitue nullement à la lutte pour les augmentations de salaires. Bien au contraire, elle crée justement les conditions nécessaires pour permettre une telle lutte. Ce qui s’appelle aujourd’hui "lutte pour les augmentations de salaires", c’est à l’époque de l’inflation permanente, neuf fois sur dix, une lutte pour rattraper le retard des salaires par rapport à la hausse du coût de la vie, c’est à dire une lutte pour rétablir et non pour augmenter le pouvoir d’achat des salaires. Lorsque ce rétablissement devient automatique, par le truchement de contrats garantissant l’échelle mobile, la lutte pour les véritables augmentations du pouvoir d’achat ne pourra que débuter pour de bon. »

Dans la situation actuelle, la mise en place d’une échelle mobile des salaires empêcherait les capitalistes des secteurs hors matières premières et hors transport de compenser la hausse de leurs coûts de production lié là la hausse des prix des matières première, par des hausses de prix. Cette hausse des coûts de production rognerait alors les taux de profits, ce qui, en aggravant la crise, rendrait plus visible l’antagonisme entre les intérêts capitalistes et les intérêts des travailleurs.

Pour protéger la classe ouvrière dans son ensemble, et non les seuls travailleurs au travail, contre les effets de l’inflation, Ernest Mandel appuie l’extension du principe de l’échelle mobile à tous les allocataires sociaux : retraites, pensions, allocations chômage, allocations familiales, allocations pour les personnes en situation de handicap devraient être indexées et automatiquement adaptées aux augmentations mensuelles du coût de là vie, de la même manière que les salaires. Cette revendication est d’autant plus nécessaire que les personnes bénéficiaires d’allocations sont souvent des personnes à très faibles revenus qui sont les plus durement frappés par la hausse des prix des produits de première nécessité (parce que ça représente une part considérable de leur budget mensuel), et précipités dans une misère noire par l’inflation.

4.2 La question du contrôle des prix[modifier | modifier le wikicode]

Dans la situation post-covid, un certain nombre d’économistes postkeynésiens ont proposé de mettre en place un blocage des prix le temps que la situation se normalise, et ils le présentent parfois comme une solution alternative à la montée des taux d’intérêts pratiqués par la banque centrale et le risque de récession économique qu’elle entraîne. Le problème, c’est qu’un tel blocage des prix en régime capitaliste n’éviterait pas la récession : au contraire, il entraînerait également une récession économique parce qu’il empêcherait les capitalistes de répercuter la hausse de leurs coûts de production sur leurs prix. Donc chute des taux de profits, chute de l’investissement, et récession. Même si ce contrôle des prix était ciblé sur les groupes pétroliers, il est compliqué d’imposer à un groupe capitaliste un blocage des prix sans qu’il rationne les quantités et organise une pénurie de produits dans le pays qui aurait bloqué les prix. Un tel contrôle des prix décidé par l’Etat sous le capitalisme accélèrerait par ailleurs la concentration du capital dans les mains des grands groupes, les petites entreprises n’ayant pas assez de marges pour supporter ce blocage des prix (Mandel, 1974). La question du blocage des prix ne se pose donc pas « en général », de manière abstraite, comme une « meilleure politique », mais doit se poser de manière articulée avec la perspective révolutionnaire. Poser la question du blocage des prix revient en réalité à poser la question de la planification de l’économie dans son ensemble, c’est-à-dire la sortie du capitalisme et de sa loi du profit.

« La vérité, sans doute désagréable à entendre, c’est qu’il n’y a pas moyen d’arrêter l’inflation sans supprimer le régime capitaliste. Les seules conditions dans lesquelles le capitalisme contemporain pourrait, à la rigueur, modérer l’inflation, ce seraient des conditions désastreuses pour la classe ouvrière : chômage massif et blocage des salaires. »

Ernest Mandel, 1974[27]

5 Notes et sources[modifier | modifier le wikicode]

  1. Milton Friedman, Inflation Causes and Consequences, Asian Publishing House, 1963
  2. Milton Friedman, The Counter-Revolution in Monetary Theory, 1970
  3. Michael Roberts, "Covid and inflation", 17 août 2020, thenexrecession.wordpress.com
  4. M2 est un agrégat monétaire qui englobe la monnaie fiduciaire (pièces et billets) ainsi que la monnaie de crédit qui circule dans l'économie.
  5. 5,0 et 5,1 Joseph Choonara, "the gathering storm", International socialism, 13 juin 2022, [http://isj.org.uk/the-gathering-storm/]
  6. Jean Luc Dallemagne, Jacques Valier, "L'échec des explications bourgeoises de l'inflation", Critiques de l'économie politique, n°1, sept-déc, 1970.
  7. John Maynard Keynes, How to Pay for the War : A Radical Plan for the Chancellor of the Exchequer, 1940
  8. Jean-Marc Siroën, "Comment payer la guerre » : la leçon d’économie oubliée de Keynes", The Conversation, 11 mai 2021, [https://theconversation.com/comment-payer-la-guerre-la-lecon-deconomie-oubliee-de-keynes-138021]
  9. Samuelson, P.A. and Solow, R.M. (1960) Analytical Aspects of Anti-Inflation Policy. American Economic Review, 50, 177-194.
  10. A. W. H. Phillips, "The Relation between Unemployment and the Rate of Change of Money Wage. Rates in the UK, 1861-1957", Economica, 1958
  11. https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-06-20/summers-says-us-needs-5-jobless-rate-for-five-years-to-ease-cpi
  12. https://www.bfmtv.com/economie/jerome-powell-fed-nous-avons-besoin-d-une-augmentation-du-chomage-pour-lutter-contre-l-inflation_AD-202209210670.html
  13. https://www.independent.co.uk/news/business/bank-england-boss-andrew-bailey-wage-restraint-b2021380.html
  14. Karl Marx, Salaires, prix et profits, 1865
  15. Karl Marx, cité plus haut, 1865
  16. Un marché oligopolistique est un marché où un petit nombre d'entreprises font face à un grand nombre de consommateurs.
  17. Karl Marx, 1865, cité plus haut.
  18. Karl Marx, 1865, cité plus haut.
  19. IMF, World Economic Outlook, octobre 2022
  20. Christian Chavagneux, "Il n'y a pas de boucle prix-salaire", Alternatives économiques, 10 octobre 2022.
  21. OECD, OECD Employment Outlook 2023, 2023. [https://www.oecd.org/employment-outlook/2023/]
  22. Gérard Duménil. "Reproduction, suraccumulation et inflation" in Marx et Keynes face à la crise, 1977
  23. Suzanne de Brunhoff, "Lutte des classes et lutte contre l'inflation", Le Monde diplomatique, Novembre 1974
  24. Michael Roberts, "A Marxist theory of inflation", 21 août 2020[ https://thenextrecession.wordpress.com/2020/08/21/a-marxist-theory-of-inflation/ ]
  25. Trotski, La nouvelle politique économique des Soviets et la révolution mondiale, 14 novembre 1922
  26. Ernest Mandel, « La défense du pouvoir d’achat des travailleurs contre l’inflation et la vie chère », 1974
  27. Ernest Mandel, 1974. Cité plus haut